Des outils pour gérer les crises, oui mais…

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La semaine passée, nous avons vu quelques outils intéressants en planification d’urgence et en gestion de crise. Mais la forge ne fait pas le forgeron… À quels critères ces outils doivent-il répondre ? Dans quelle mesure sont-ils nécessaires ? Et dans quel cadre s’inscrivent-ils ? Nous avons profité du calme relatif de l’été pour y réfléchir avec vous au cours de deux ateliers participatifs destinés aux membres des disciplines et des autorités.

Qu’en ressort-il notamment ?

  1. L’importance de maîtriser les fondamentaux avant d’utiliser des outils
    • développer ses compétences à l’oral et à l’écrit ;
    • améliorer la communication multidisciplinaire ;
    • apprendre à décider ;
    • connaître son travail et rester à sa place (tout en étant capable d’initiative) ;
    • développer un sens clinique de la situation (tel un urgentiste qui voit d’abord le patient avant l’électrocardiogramme).
  2. Développer ses capacités à l’oral et écrit
    • en situation de crise, on préfère recourir à l’oral et au manuscrit (textes et dessins), car c’est le plus naturel ; cela aide à penser et à créer, dans la mesure où toute stratégie – au sens large – est une création, et non une déduction ;
    • la numérisation (logbook, carte, …) ne vient que dans un second temps, si cela apporte un bénéfice (ex: transmission à distance, archives, …) et s’il y a assez de personnel ;
    • dès lors, il est par exemple primordial de savoir utiliser les radios efficacement (technique, procédure, utilisation raisonnée, ….) pour pouvoir se concentrer sur le reste ;
    • cela dit, celui/celle qui commande ne doit pas nécessairement être celui/celle qui communique par radio. Principe du transmetteur militaire, qui assiste l’officier.
  3. Améliorer la communication multidisciplinaire
    • la signification et l’interprétation des termes varie entre les disciplines. Par exemple, les expressions “c’est terminé pour nous”, “les pompiers sont toujours sur place”, “l’incendie est maîtrisé”, … n’ont pas la même signification selon les disciplines ;
    • d’où un besoin de terminologies communes, rendues notamment possibles par les plans préalables ;
    • en situation, déclencher rapidement une phase de coordination pour faciliter la compréhension entre les disciplines grâce à la coordination multidisciplinaire que permet le PC-OPS ;
    • en préparation, besoin de formations à la communication active spécifique “situation de crise” (se mettre à la place de l’autre, reformuler, …) ;
    • au-delà, développer l’intelligence collective multidisciplinaire, et entre rôles différents d’une même discpline.
  4. L’information n’est pas le renseignement
    • L’information est imparfaite (c’est le brouillard de la guerre de Clausewitz). On dit aussi que « la carte n’est pas le territoire ». Ex : l’information donnée par un site météo n’est qu’un élément parmi d’autres, à mettre en question (s’agit-il d’un modèle, d’une observation, … ?), à recouper (avec d’autres sites, avec l’observation directe, avec d’autres informations, …) ;
    • Un renseignement est une information vérifiée et recoupée. Or, capter et vérifier l’information prend du temps. Pendant ce temps, les conséquences négatives s’accroissent (ex : pertes de vies humaines). Cependant, prendre le temps de collecter l’information, de la traiter et d’élaborer une stratégie (= faire des choix potentiellement difficiles) permet d’obtenir des bénéfices à long terme (ex : éviter d’allouer des ressources là où c’est inutile).
  5. Trop peu et trop d’information
    • Au déclenchement de la crise, on manque d’infos (ex: adresse exacte, ce qui se passe, …) ;
    • Ensuite, rapidement trop d’information non validée, ce qui engendre une perte d’énergie (si je reçois l’info, je dois la traiter, que ce soit par moi-même ou en y dédiant du personnel et des ressources pour la vérifier (ex: faire voler un hélicoptère)) ;
    • Il faut dès lors planifier en tenant compte de ce besoin de trier et de qualifier l’information (en situation de crise, du personnel supplémentaire sera nécessaire pour résoudre une situation qui paraîtrait simple a posteriori, et ce notamment à cause de l’énergie nécessaire à lever les incertitudes).
  6. L’information préalable est nécessaire et inutile à la fois
    • le titre est un peu provocateur, mais illustre la tension qui existe en réalité ;
    • il faut planifier (PGUI, PPUI, IPI, …), mais il n’y a pas le temps de relire le plan au moment-même (même quelques pages) [*] ;
    • mais surtout l’ information périme (ex: accès impraticables, numéros de téléphone qui changent, …) ;
    • ⇨ responsabilité de la hiérarchie a) que ces plans existent et soient connus ; b) que ces plans soient suffisamment simples et ne sur-planifient pas, par rapport à des détails qui peuvent périmer rapidement ; c) que les équipes sur le terrain aient la capacité de s’adapter (à la fois grâce à des outils techniques et par la délégation du pouvoir de le faire).
  7. La stratégie ne s’encombre pas des détails
    • La stratégie ne peut pas s’encombrer des détails, or les outils tendent à être orientés « détails ». Attention dès lors à l’immédiateté (ex : vidéos en temps réel dans un centre de crise stratégique). Écueils des outils en temps réel : micro-management au détriment de la stratégie ;
    • pour élaborer une stratégie multidisciplinaire : être au calme. Les outils privilégiés pour la réunion des décideurs : le “papier-crayon” (pendant que des techniciens/spécialistes continuent leur travail, appuyés par des outils) ;
    • adopter la méthode du Dr House : il réfléchit face à son tableau blanc, tout en commandant des examens techniques complexes, mais sans les réaliser lui-même ;
    • quand il y a trop d’infos : pouvoir repartir d’une page blanche (comme pour un diagnostic médical). Mais à partir de quel moment ?
  8. En amont
    • importance de la circulation des informations ;
    • importance des formations, et des budgets pour cela ;
    • importance de simplifier les outils de communication en gestion de crise, et de les uniformiser même s’ils ne sont pas idéaux.
  9. Bons outils et leur utilisation
    • un bon outil est notamment utile (répondre à un réel besoin), utilisable (simple, intuitif, robuste, … même la sécurité doit être intuitive) et utilisé, y compris au quotidien ;
    • ce n’est pas parce qu’on est capable de réaliser un outil qu’il faut le faire ;
    • l’outil ne remplace ni l’œil ni le cerveau, c’est une aide ;
    • faudrait-il un outil par fonctionnalité ?
      • facilite l’utilisation des outils sous stress ;
      • exemple de la marine américaine qui revient aux manettes à la place des tablettes ;
      • exemple du dédoublement de la radio Astrid : une radio par groupe de communication ⇨ pas besoin de manipuler la radio ;
      • A contrario, cela engendre des coûts (2 radios, 2 abonnements, …)
  10. Problématique des moyens
    • les outils, ça coûte cher… ;
    • avec de l’imagination, des choses sont cependant possibles, ex. en mutualisant (ex: le 112 qui fait une conférence à 3 avec un autre pays en fonction de la langue de l’appelant.e).

Merci aux participant.e.s aux deux ateliers pour leurs réflexions pertinentes !

Il ne s’agit que d’un point de départ, à approfondir ! Qu’en pensez-vous ?

[*] (voir aussi P. Lagadec, La question des plans)